Le Suisse Adolf Muschg prend la défense de Günter Grass
Le Suisse Adolf Muschg est le premier écrivain de renommée internationale qui prend la défense de Günter Grass, accusé d’antisémitisme après la publication de son poème sur Israël. L’écrivain alémanique écrit dans ce dimanche dans l’hebdomadaire zurichois Der Sonntag que le reproche d’antisémitisme lancé unanimement contre son collègue allemand le laisse sans voix « tellement il est absurde, injuste et démesuré« .
Günter Grass, prix Nobel de littérature 1999, a publié la semaine dernière un poème dans un journal allemand, intitulé « Ce qui doit être dit », dans lequel il prend la défense de l’Iran contre Israël lequel « menace la paix mondiale » avec l’arme atomique.
L’auteur du « Tambour » demande aussi dans son poème en prose un contrôle aussi bien de l’arsenal atomique israélien, que du programme atomique iranien par une instance internationale. Günter Grass estime que d’éventuelles frappes préventives israéliennes contre des installations nucléaires iraniennes mèneraient à l’éradication du peuple iranien pour la seule raison que ses dirigeant sont soupçonnés de construire une bombe atomique.
Pour Adolf Muschg, « on condamne Grass pour quelque chose qu’il n’a pas écrit ». On lui conteste le droit de critiquer Israël. « Pourquoi la réaction presque unanime des germanophones a-t-elle lieu avant de savoir si cette critique contre Israël a bien été émise ? » se demande Muschg. Et pourquoi un auteur comme Grass n’aurait pas le droit de s’exprimer en tant que citoyen du monde ? Le « silence menaçant montre que la suffisance n’est pas seulement de son côté« , écrit Muschg qui se réfère à un passage dans lequel Günter Grass dénonce le « silence généralisé » sur le fait établi qu’Israël dispose depuis des années d’un arsenal nucléaire croissant sans qu’aucun contrôle ne soit permis. C’est un « mensonge pesant » car le verdict d’antisémitisme tombera automatiquement sur quiconque rompra ce silence, écrivait Grass.
Poème de Günter Grass :
Pourquoi me taire, pourquoi taire trop longtemps
Ce qui est manifeste, ce à quoi l’on s’est exercé
dans des jeux de stratégie au terme desquels
nous autres survivants sommes tout au plus
des notes de bas de pages.
C’est le droit affirmé à la première frappe
susceptible d’effacer un peuple iranien
soumis au joug d’une grande gueule
qui le guide vers la liesse organisée,
sous prétexte qu’on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir,
de construire une bombe atomique.
Mais pourquoi est-ce que je m’interdis
De désigner par son nom cet autre pays
Dans lequel depuis des années, même si c’est en secret,
On dispose d’un potentiel nucléaire en expansion
Mais sans contrôle, parce qu’inaccessible
À toute vérification ?
Le silence général sur cet état de fait
silence auquel s’est soumis mon propre silence,
pèse sur moi comme un mensonge
une contrainte qui s’exerce sous peine de sanction
en cas de transgression ;
le verdict d’ »antisémitisme » est courant.
Mais à présent, parce que de mon pays,
régulièrement rattrapé par des crimes
qui lui sont propres, sans pareils,
et pour lesquels on lui demande des comptes,
de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires,
quoiqu’en le présentant habilement comme une réparation,
de ce pays, disais-je, Israël
attend la livraison d’un autre sous-marin
dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives
capables de tout réduire à néant
en direction d’un lieu où l’on n’a pu prouver l’existence
ne fût-ce que d’une seule bombe atomique,
mais où la seule crainte veut avoir force de preuve,
je dis ce qui doit être dit.
Mais pourquoi me suis-je tu jusqu’ici ?
parce que je pensais que mon origine,
entachée d’une tare à tout jamais ineffaçable,
m’interdit de suspecter de ce fait, comme d’une vérité avérée,
le pays d’Israël, auquel je suis lié
et veux rester lié.
Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire,
vieilli, et de ma dernière encre :
La puissance atomique d’Israël menace
une paix du monde déjà fragile ?
parce qu’il faut dire,
ce qui, dit demain, pourrait déjà l’être trop tard :
et aussi parce que nous – Allemands,
qui en avons bien assez comme cela sur la conscience -
pourrions fournir l’arme d’un crime prévisible,
raison pour laquelle aucun
des subterfuges habituels n’effacerait notre complicité.
Et admettons-le : je ne me tais plus,
parce que je suis las de l’hypocrisie de l’Occident ; il faut en outre espérer
que beaucoup puissent se libérer du silence,
et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante
à renoncer à la violence
qu’ils réclament pareillement
un contrôle permanent et sans entraves
du potentiel nucléaire israélien
et des installations nucléaires iraniennes
exercé par une instance internationale
et accepté par les gouvernements des deux pays.
C’est la seule manière dont nous puissions les aider
tous, Israéliens, Palestiniens,
plus encore, tous ceux qui, dans cette
région occupée par le délire
vivent côte à côte en ennemis
Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes.
Günter Grass
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni